Faire paysan
EAN13
9782889071913
Éditeur
Zoé
Date de publication
Collection
DOMAINE FRANCAIS
Langue
français
Langue d'origine
français
Fiches UNIMARC
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Faire paysan

Zoé

Domaine Francais

Indisponible

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Tout part d’un changement de vie : après une quinzaine d’années au cours
desquelles il a été tour à tour journaliste et enseignant, tout en voyageant
dans le monde entier et en publiant une douzaine de livres, Blaise Hofmann, la
quarantaine, décide de retourner vivre à la campagne, non loin du village où
il a grandi. Peu après, la population suisse est amenée à se prononcer sur
l’interdiction de l’usage de plusieurs désherbants, insecticides et fongicides
de synthèse. L’opinion publique se divise. D’un côté, le monde agricole, pour
qui ces produits sont un outil de travail important, sans lesquels la
rentabilité ne pourrait plus être assurée. De l’autre, une population
essentiellement citadine qui voit, de loin, s’éteindre insectes et oiseaux et
refuse de consommer des aliments contaminés. Blaise Hofmann, lui, réalise
qu’il se tient désormais « entre deux mondes, les fesses entre une chaise et
un botte-cul ». Lui qui a travaillé en ville et fréquente les milieux
culturels connaît le point de vue citadin. Mais il assiste aussi de près aux
difficultés d’un monde agricole qui doit à la fois répondre aux exigences
administratives pour toucher des subsides et affronter une image publique qui
se dégrade : tous des profiteurs et des empoisonneurs, les paysans ? Il
interroge son père, lui-même paysan et fils de paysan. Puis, de village en
village, il poursuit son enquête – ni en journaliste ni en sociologue, mais en
curieux, en ami, en écrivain. Des cousins, un voisin, une personnalité
militante, une paysanne en colère, des jeunes qui veulent renverser l’approche
traditionnelle : Blaise part à leur rencontre et nous livre leur portrait
collectif, empathique et contrasté. Au fil du livre se tisse aussi, avec toute
la pudeur hofmannienne qu’on lui connaît, une trame familiale dans laquelle la
paysannerie tient un rôle central, vis-à-vis duquel l’auteur questionne sa
propre place. Avec humour et tendresse, porté par une indignation
grandissante, il dessine les lignes du « plus vieux métier du monde », qui est
« aussi le plus essentiel ». \--- Les problématiques soulevées par Blaise
Hofmann dépassent très largement les frontières nationales : si les recherches
menées pour ce livre ont été réalisées en Suisse, un tableau presque identique
pourrait être dressé pour dépeindre le monde paysan en France. Marielle Macé
évoquait récemment « ce désarroi paysan » et ces « agriculteurs saccagés
saccageurs, qui ont délabré leur sol à coups de pesticides […], pris en étau
entre l’évidence d’une faute écologique et celle d’une humiliation sociale »
(Nos cabanes, Verdier, 2019). Les débats autour des produits phytosanitaires,
le déclassement des campagnes et le désespoir d’une partie de la population
agricole sont d’actualité dans l’Hexagone comme un peu partout ailleurs en
Europe occidentale. \--- Quelques extraits Un autre regard sur un tas de
fumier : Il fallait les voir, tour à tour, matin et soir, mon oncle Hans, mon
père, ou l’apprenti, ou Carlos, ou Manuel, sortir de l’écurie en poussant leur
brouette. Très concentrés, ils visaient la rampe, une planche solide mais
étroite, puis renversaient le contenu, répartissaient avec une fourche à
quatre pointes ce mélange de paille et de bouse. On s’applique d’abord à bien
faire les coins, puis les bords du fumier, on piétine avec les grosses bottes
de caoutchouc pour ralentir la fermentation. À la surface, on ne peut empêcher
l’azote de s’échapper, mais à l’intérieur, on élimine l’air pour que les
microbes puissent faire leur travail, fabriquer le précieux humus ; c’est pour
cela qu’il fait chaud dans un fumier, pour cela qu’en hiver, on les voit
fumer. Sur la route de Saint-Prex, les voitures ralentissaient à sa hauteur,
avant la priorité de droite, se garaient parfois à proximité pour faire des
courses à la petite épicerie, au rez du bâtiment de la Société de laiterie.
Certains clients se pinçaient le nez, ignorant la noblesse de la chose, le
cycle abouti de l’herbe verte, une ode aux pâturages transformés, grâce à des
ruminants domestiqués par nos aïeux il y a dix mille ans, en excrément, en
urine ; le cycle aussi des champs de blé, ces grands rectangles jaunes qui
agrémentent nos paysages, devenus paille sèche, litière absorbante. Et ce
mélange changé en fumure, concentré de vie, énergie, nutriment, matière active
qui s’en retournera à la terre pour offrir de la bonne herbe, du bon blé, du
vert et du jaune, de la viande et du lait. Paysans contre citadins : Avant de
m’endormir, machinalement, je fais défiler du contenu sur mes réseaux sociaux.
Tiens, le père est actif sur Facebook. Sans surprises, son profil défend les
vertus de l’agriculture conventionnelle : « La pollution a chuté durant la
pandémie de coronavirus, et les paysans ont continué de travailler, qu’en
déduisez-vous ? » Hélas, jamais les algorithmes de ces interfaces ne le feront
rencontrer ceux qui pensent autrement. Loin, très loin de ses champs vivent
ceux qui parlent de slow food et de fermes coopératives écoresponsables. Ceux
qui visionnent des tutoriels Youtube faisant l’apologie du purin d’orties, des
semences anciennes et du vin nature. Ceux qui font des manifestations au
centre-ville. Ceux qui ont pleuré quand Guillaume Canet, déguisé en paysan, se
suicide à la fin d’Au nom de la Terre. Ceux qui ne savent pourtant pas
distinguer un épi d’orge d’un épi de blé. Je m’emporte à mon tour. Je fais
comme le père, le fils, comme tout le monde. J’en veux autant aux citadins
hors-sol qu’aux paysans convaincus. Je creuse un peu plus le fossé qui sépare
les villes des campagnes, ce nouveau röstigraben qui radicalise les pensées et
les actes, qui unit Genevois, Bâlois et Zurichois contre les paysans. Une
paysanne en colère : Pour Anne, si tant de paysans se sont suicidés, ce n’est
pas à cause de problèmes économiques, pas même à cause d’un prétendu isolement
social, c’est surtout à cause d’un manque de reconnaissance. Elle marque un
temps de silence. Elle me raconte une anecdote récente et révélatrice. Son
fils Léni, qui a maintenant 13 ans, avait appris à l’école le tube de Patrick
Bruel « On s’était dit rendez-vous dans dix ans. » Anne lui avait demandé : Et
toi, tu seras qui dans 10 ans ? Il avait répondu : « En tout cas pas paysan,
c’est trop la honte ! » Cette discussion l’avait bouleversée : « C’est
insensé, ce métier est devenu une insulte ! » Elle constate que le paysan a de
plus en plus honte de vivre dans une ferme, il a peur qu’on dénonce ses
pratiques, qu’on l’accuse de maltraitance animale. « Pour peu, il s’excuserait
de nourrir les gens. Moi, je ne veux pas faire pitié, j’ai envie de donner
envie ! » Elle se souvient que durant la pandémie de coronavirus, ses
collègues portaient un badge « Fière d’être infirmière ». Elle n’imagine pas
une seconde la même chose se faire dans les fermes. Un autre monde paysan :
Alix ne perd pas le goût du métier. Il se pose cependant de plus en plus de
questions. Et il est rare de voir ainsi un paysan partager ouvertement ses
inquiétudes avec un inconnu, qui plus est, n’est pas de la profession. Il se
demande par exemple pour quels objectifs il a travaillé comme un forcené ces
deux dernières années. Pour enrichir les intermédiaires ? La coopérative ? La
grande distribution ? Il est allé assister à plusieurs conférences, il a
multiplié les lectures, Primauté du vivant de Dominique Bourg, les ouvrages de
Jean-Marc Jancovici, créateur du concept de « bilan carbone », d’Arthur
Keller, expert en transition écologique, souvent considéré comme «
collapsologue », de Pablo Servigne, auteur d’Une autre fin du monde est
possible, dans lequel il prône l’autonomie alimentaire via la permaculture.
Alix n’a plus envie d’alimenter « un système malade », comme il le décrit lui-
même ; il rêve d’une agriculture harmonieuse qui puisse le nourrir,
économiquement, mais aussi moralement. Il souhaite une vie meilleure pour ses
bêtes, aimerait cesser de viser la performance, écouter ses aspirations
profondes. Il fait des expériences, accueille des Biélorusses, des Taiwanais
ou des Japonais via le réseau mondial Workaway, qui met en relation des
voyageurs prêts à prêter main-forte à des agriculteurs. Il est en train de
créer un...
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